DIFFERENCIER INCESTE ET INCESTUEL

 

L'inceste est une agression à caractère sexuel (attouchements et /ou pénétration) commise par une personne sur une autre, au sein d'une même famille. Dans l'inceste il y a passage à l'acte.

Le concept « d'incestuel » a été mis en évidence dans les 80-90 par le psychiatre et psychanalyste français, Paul-Claude Racamier (1924-1996) à partir de sa clinique de la psychose dans la famille. Il est également à l'origine de l'identification de la perversion narcissique.

L'inceste est un passage à l'acte, l'incestuel est un inceste moral, il s'agit de continuer à ne faire qu'un au lieu de deux.

Au début de leur relation, le nourrisson et la mère vont se rencontrer l'un l'autre, dans une sorte d'unisson, de séduction narcissique (1), où chacun se reconnaît dans l'unité qu'ils forment ensemble.

Par la suite, l'enfant, poussé par sa croissance, se détache de cet unisson fusionnel et se tourne vers son individualisation. Il effectue ce que l'on nomme le « deuil originaire » (2).

Lorsque la mère l'accompagne dans son aspiration à l'autonomie, la séduction narcissique peut s'achever.

 

L'incestuel apparaît lorsque ce « deuil originaire » est impossible, car le parent (3) n'entend pas se déprendre du lien.

Il garde alors une forme d'emprise sur son enfant, que ce soit en anticipant ses besoins ou en l'isolant de toute présence étrangère pour que personne ne vienne s'interposer entre eux, pas même l'autre parent. Cela crée une difficulté face aux séparations et au désir d'autonomie de l'enfant, on se trouve alors en présence d'un « contrat symbiotique » (4), d'un non-respect des frontières entre soi et l'autre,

L'incestuel, c'est la rencontre de plusieurs facteurs qui va permettre à ce dysfonctionnement de s'installer.

• Le parent a bien souvent une faille narcissique à colmater et l'enfant n'est pas considéré comme un sujet mais un objet, un prolongement du parent.

La relation incestuelle est une relation narcissique et l'accès à l'autonomie de l'enfant signifierait pour le parent son effondrement, il se retrouverait devant son propre vide. L'enfant devient ainsi le garant de l'identité du parent.

C'est avant tout une relation d'emprise comme nous l'avons dit, où l'enfant incestuel est un objet fétiche qui n'est fait que pour remplir le vide intérieur du parent. Il doit répondre à ses désirs au détriment des siens, lui renvoyer sans cesse une image idéale. L'enfant est là pour asseoir sa toute-puissance : « sans moi tu n'es rien, moi seul peut te comprendre ».

Même si le parent donne l'impression d'avoir choyé l'enfant, il manque la tendresse et la douceur qui entoure et enveloppe.

• Un cadre familial qui ne permet pas la distinction entre les individus et amène de la confusion, une » ambiance incestuelle », avec :

Une confusion des places, comme le père qui occupe la position de la mère et inversement, ou un enfant qui occupe la position parentale en prenant soin d'un parent dépressif. Un enfant, qui dort dans le lit des parents ou qui devient le confident de la sexualité du couple, il peut alors croire que lui seul pourra amener de la satisfaction au parent.

Une confusion des générations, par le biais de l'impasse qui peut être faite sur un membre de la famille (secret des origines), également par le biais de l'inceste, qui peut induire des ravages incestuels dans les générations suivantes.

 

Une confusion des registres relationnels, entre l'affection parentale et le sentiment amoureux. Père/mère qui passe plus de temps avec sa fille/fils qu'avec sa femme/mari (le sous-entendu : je suis mieux avec toi), ou qui se promène dans la rue en tenant la main à un âge avancé de l'enfant ou encore des baisers qui semblent anodins sur la bouche. Mais en fait, la relation est sexualisée.

Une confusion des limites entre l'espace privé et public au sein d'une même famille, avec des intrusions répétées dans la salle de bain, lors de la toilette par exemple.

L'incestuel s'exprime plus comme une « ligature » que comme un lien

Il s'installe dans un objet matière comme l'argent ou la nourriture. La nourriture par exemple permet au parent d'avoir la main sur tout ce qui entre et sort du corps de l'enfant. Par son refus, l'enfant tente alors de reprendre son autonomie.

Il peut aussi s'agir d'une activité partagée entre les partenaires de la relation incestuelle.

Les pratiques sportives intensives par exemple, où le père devient l'entraîneur de sa fille et sous prétexte de performance va rentrer dans son intimité.

Un climat familial très érotisé, où les parents font état d'un véritable exhibitionnisme de leur intimité et / ou de leur sexualité.

Il semble que les sujets pris dans l'incestuel se manifestent souvent sur le plan somatique à défaut de pouvoir dire leur souffrance et à travers des conduites addictives comme les troubles du comportement alimentaire, la toxicomanie, l'alcoolisme, des automutilations à répétition, entre autres.

Et s'il devait y avoir un fantasme de l'incestuel, ça serait celui de peau commune et même au-delà, par son phénomène intrusif. 

 

Béatrice Horner

 

1. Séduction narcissique : A l’unité corporelle prénatale, succède une autre sorte d’unisson, la séduction narcissique. L’enfant et la mère vont se séduire afin de se rencontrer malgré leurs différences.
2. Deuil originaire : Ce par quoi, le sujet poussé par la croissance, se déprend de l’unisson fondé sur les forces de la séduction narcissique, et ainsi se tourne vers l’individualisation.
3. Généralement, l’incestuel est un inceste moral plus du fait de la mère, mais le père peut y prendre place également.
4. Contrat symbiotique : amène une relation de dépendance, dans laquelle une personne en utilise une autre et fait en sorte que celle-ci assume à sa place, une part de la réalité qu’elle ne veut pas assumer